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Les épeautres et le gluten

 Pour honorer cette nouvelle année avec sainte Hildegarde de Bingen, quoi de mieux que l’épeautre ?

Voici un résumé vulgarisé de l’article « Unraveling gluten protein compositions of einkorn, emmer, and spelt grown in the Lyon region France » publié le 19 mars 2024 dans le journal Cereal chemistry, 101, 798-816 (2024) (Sofía Correa, Justine Lepagneul, Mathieu Thomas, Laurence Mayaud, Olivier Hamant,  Marie‐Françoise Samson, Marie‐Thérèse Charreyre)

Note 1 : les résultats de l’étude sont basés pour l’instant sur une seule année de récolte

Note 2 : la variété Oberkülmer de grand épeautre a particulièrement souffert de la sécheresse pendant la culture et de ce fait, ses résultats ne peuvent être exploités de manière satisfaisante

 

Depuis la fin du 19ème siècle, la sélection de variétés dites modernes de blé tendre (uniformes à haut rendement et aux propriétés technologiques spécifiques) a été menée avec intensité pour répondre aux exigences des systèmes alimentaires industrialisés.

Parallèlement, l’incidence de la maladie coeliaque a augmenté et une nouvelle pathologie nommée sensibilité au blé non coeliaque est apparue. On peut donc se demander si ces variétés modernes de blé n’ont pas contribué au développement de ces pathologies. Etant donné que les épeautres sont traditionnellement associés à des bienfaits pour la santé, des chercheurs du CNRS et INRA de Lyon se sont intéressés à l’étude comparative des compositions en protéines de 8 variétés de blés tendres (variétés modernes et mélange de variétés locales paysannes), 7 variétés de petit épeautre (Allemand, de Bulgarie, Graines de l'Ain, Mix JMG -mélange de variétés-, Noir, Petit épeautre de Provence,  Pop de Barcelonnette), 8 variétés de moyen épeautre (Blanc, Blanc long, Bleu d'Ethiopie, de la Forêt Noire, de Poveda, de Souabe, Gris, Roux Blanc) et 8 variétés de grand épeautre (Arduinii, de Manitoba, Doré, Escanda de Asturias, Oberkulmer, Ressac,  Rouquin, Tyrolien Rouge).

L’étude s’est déroulée dans le cadre d’une recherche participative incluant un collectif d’agriculteurs de la région lyonnaise. Toutes les variétés ont été cultivées de façon biologique sur une même parcelle du CRBA (Centre de Ressources de Botanique Appliquée) à Charly en 2021-2022. Les données ont été publiées en 2024 (Sofia Correa et al).

 

Rappelons que le gluten est un réseau viscoélastique composé de deux types de protéines de stockage : les gliadines (GLIA) et les gluténines (GLUT). Les gliadines sont des protéines monomériques globulaires. Les gluténines sont des protéines polymériques, naturellement sous forme de grands agrégats ; elles peuvent être subdivisées en 2 sous-classes : les gluténines à haut poids moléculaire (HMW - GS) et à faible poids moléculaire (LMW - GS).

Lorsque de l’eau est ajoutée à la farine, les gliadines et les gluténines forment des enchevêtrements autour des granules d’amidon, que l’on appelle le gluten. On peut émettre l’hypothèse que, dans le réseau de gluten, une protéine polymérique et à haut poids moléculaire (HMW - GS) est plus difficile à digérer qu’une protéine polymérique à faible poids moléculaire (LMW – GS) et qu’une protéine monomérique (GLIA).

Le grain contient d’autres protéines ne participant pas à la formation de ce gel de gluten,  appelées albumines (ALB) et globulines (GLOB). Elles sont généralement monomériques, et responsables de réactions enzymatiques et de la structure cellulaire.

 

Les résultats obtenus par des analyses de chromatographie ont permis de comparer la teneur totale en protéines, la proportion des protéines de gluten et de leurs sous-classes.

Conformément à d’autres études antérieures :

1/ Il a été constaté une différence significative de teneurs en protéines dans les quatre espèces, la valeur la plus élevée étant mesurée pour le petit épeautre (moyenne de 17,8 g/100g de grains), suivie par le moyen épeautre (moyenne de 15,3 g/100g), le grand épeautre (moyenne de 14,9 g/100g) et le blé tendre (moyenne de 12,5 g/100g).  

De plus, la teneur en protéines était meilleure pour les blés tendres variétés paysannes en comparaison des variétés modernes sélectionnées de blé tendre.

2/ Les taux UPP d’agrégats insolubles de protéines polymériques GLUT Fi, définis par le rapport Fi/(GLUT+Fi) furent les suivants : 13% en moyenne pour le petit épeautre, 24,8 % pour le moyen épeautre, 33,8 % pour le grand épeautre, 39,8 % pour le blé tendre.

Plus l’UPP est faible, moins il y a d’agrégats insolubles de protéines, et on peut émettre l’hypothèse que plus les protéines seraient potentiellement digestes. 

3/ En ce qui concerne le gluten total (GLIA + GLUT), les proportions par rapport à la totalité des protéines (GLIA + GLUT + ALB + GLOB), sont similaires pour les quatre espèces. Cela contredit la croyance commune des consommateurs selon laquelle les épeautres contiennent moins de gluten que le blé tendre. 

4/ Par contre, la différence entre les épeautres et les blés tendres se trouve dans la composition des protéines du gluten, c’est-à-dire la fraction des différentes catégories des protéines de gluten.

*Pour la fraction GLUT, des différences significatives ont été observées entre les quatre espèces, avec la valeur la plus faible pour le petit épeautre (11,0 % des protéines totales), suivie par le moyen épeautre (17,0 %), le grand épeautre (24,2 %), et enfin le blé tendre (25,7 %) avec toujours des proportions nettement plus élevées pour les variétés modernes sélectionnées de blé tendre (26-30%) comparativement aux variétés paysannes (21-26%).

Selon les études, le classement entre le grand épeautre et le blé tendre diverge, probablement à cause des variétés étudiées. En effet, ces deux espèces hexaploïdes sont génétiquement très proches.

A noter aussi la variabilité intra-espèce très importante pour le moyen épeautre.

*Le rapport LMW–GS / HMW–GS est significativement plus élevé pour le petit épeautre (3.7 en moyenne) que pour les deux autres espèces d’épeautre et le blé tendre : 2.3 pour le moyen épeautre, 2.5 pour le grand épeautre, et 2,5 pour le blé tendre.

 La composition protéique très spécifique observée pour le petit épeautre peut être attribuée à l’absence d’un génome commun avec le blé tétraploïde (blé dur) ou hexaploïde (blé tendre). Le moyen épeautre partage avec le blé dur les mêmes génomes A et B, et le grand épeautre partage avec le blé tendre les génomes A, B, D (Shewry et al., 2003). 

 

En conclusion

Le moyen épeautre, et surtout le petit épeautre, sont caractérisés par des teneurs en protéines totales élevées, des valeurs UPP faibles, des proportions de GLUT faibles, et, dans le cas du petit épeautre, des ratios de gluténines LMW/HMW élevés. En ce qui concerne le grand épeautre et sa composition en protéines, les résultats sont proches de ceux des blés, compte tenu de leur grande proximité génétique. A contrario, les variétés de blé moderne sélectionnées pour leur rendement et la technologie de panification industrielle, sont celles qui ont les proportions de GLUT et les valeurs UPP les plus élevées ainsi que les ratios LMW/HMW les plus bas. Ceci permet de supposer que le gluten issu du moyen épeautre et du petit épeautre est nettement plus digeste que celui des variétés de blé modernes. Par cette étude, comme par d’autres, il est confirmé que la sélection récente des blés a entraîné une augmentation de la proportion de gluténines, tout en diminuant la quantité totale de protéines. Par ailleurs, dans le cadre de la digestibilité du gluten, il est important de considérer un autre facteur très important : le type de fermentation. L’utilisation de levain favorise l’expression des protéases qui pré-digèrent les protéines du gluten. C’est un paramètre non négligeable.

Les épeautres et le gluten

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